dimanche 4 décembre 2011

Les Reunionnais dans la Guerre Franco-Prussienne


La Guerre Franco-Prussienne, déclarée par l'Empereur Napoléon III le 19 juillet 1870, n'a pas reçu beaucoup d'échos à La Réunion parce qu'elle était vécue comme trop lointaine. Pourtant, quelques Réunionnais se sont illustrés lors de ce conflit. A la suite de la défaite de la France, leur histoire a été peu à peu oubliée.

Les Réunionnais de 1870 n'ont guère de moyens de se tenir au courant des évènements qui se déroulent en France métropolitaine. La presse de l'île ne publie la nouvelle de la déclaration de guerre que le 5 août, près de trois semaines après le début du conflit. Tout le monde est incrédule et il faut attendre encore plusieurs semaines pour que les Réunionnais prennent la mesure de la situation.
Les actions collectives des Créoles en faveur de leurs compatriotes métropolitains restent rares, cependant les habitants de Saint-Denis lançent le 9 septembre 1870 une grande souscription en faveur des soldats blessés et de leurs familles.
Individuellement, plusieurs Réunionnais participent malgré tout directement à la guerre, comme en témoigne encore la plaque commémorative des morts de 1870-1871 dans l'hôtel de ville de Saint-Denis.
Parmi les noms que l'on peut y lire se trouve celui d'Eugène Desprez. Né en 1828 dans une famille de planteurs sucriers de Sainte-Suzanne, dans l'Est de l'île, il meurt en défendant Paris contre les les Prussiens en 1870. Propriétaire d'une plantation de canne à sucre sur l'île de Nosy-Be, à Madagascar, son véritable métier est pourtant celui de militaire. Il entre dans la Marine dès 1844 et c'est donc dans le cadre de son service qu'il est envoyé au front. Il disparaît sans avoir eu le temps de se marier ni d'avoir des enfants.
D'autres Créoles quittent également l'île pour se porter au secours de leur pays. Mais ceux-ci sont des civils, volontaires, qui agissent par patriotisme. Cependant, rien n'est prévu pour les encourager. Lorsque ces hommes apprennent, à la mi-octobre 1870, les graves déboires militaires de la France, ils décident d'aller se battre en Europe contre les Allemands. Mais comme ces bonnes volontés doivent payer elles-mêmes le billet pour la traversée à bord du paquebot des Messageries, beaucoup renoncent. Seuls 16 hommes s'embarquent finalement le 22 octobre, alors que la situation militaire française est déjà catastrophique. Après un séjour à Marseille, 13 volontaires rejoignent effectivement les francs-tireurs d'Indre-et-Loire.
Bien entendu, certains Réunionnais sont directement concernés par la guerre car ils vivent à l'époque dans l'Hexagone. C'est le cas des frères Ernest et Thomy Lahuppe, originaires de Saint-Denis mais installés à Paris lors du déclenchement du conflit. Thomy, journaliste et imprimeur, s'engage à la défense des fortifications de Paris. Ernest, médecin, met naturellement son art au service des blessés de Paris. Pour ses services, il est fait Chevalier de la Légion d'Honneur par le Ministre de la Guerre, le 5 mai 1871. Les deux frères envoient quelques courriers reproduits dans la presse réunionnaise, relatant les immenses difficultés de la population durant le siège de Paris, à l'hiver 1870-1871.
Et que dire de Juliette Dodu? Bien que son cas soit très contesté, cette dyonisienne née en 1848 est devenue très célèbre suite à la Guerre Franco-Prussienne. Elle se serait illustrée à partir de septembre 1870 à la poste de Pithiviers en interceptant les télégrammes allemands. Juliette Dodu a obtenu la Légion d'Honneur quelques années plus tard et sa ville natale l'honore toujours d'une grande rue et d'un collège à son nom.

jeudi 2 juin 2011

Les Frères Lambert, deux aventuriers dans la Mer des Indes



En cette année des Outre-mer, les Editions Orphie publient ce récit retraçant la carrière de ces deux aventuriers bretons, originaires de Redon, et que le destin a poussés bien loin dans l’Océan Indien.


Les premiers échos de la critique sont plutôt encourageants : Clicanoo, Africultures, Radio-Panache, Place des Libraires
L'Académie des Sciences d'Outre-Mer lui a décerné son Prix Lyautey 2011.
Bonne découverte ...


Île Maurice, Madagascar, Mohéli, Aden, la Côte des Somalis… : du Nord au Sud de l’Océan Indien, les frères Lambert ont laissé leur empreinte. S’ils sont aujourd’hui presqu’oubliés dans leur patrie, ils ont connu la célébrité en leur temps et hantent encore la mémoire de quelques populations qu’ils ont croisées. Aventuriers de nature, négociants dilettantes, mais surtout intrigants, les deux frères originaires de Bretagne ont suscité l’amitié de certains souverains aussi bien que le ressentiment d’autres. Naviguant sans cesse au propre comme au figuré entre les îles et les continents, entre les intérêts des grandes puissances et les leurs, en définitive ils ne demeurent fidèles qu’à l’appel de la gloire et de l’aventure. Ils nous entraînent dans un grand voyage, rythmé par de nombreuses péripéties, au cœur de l’océan Indien du XIXème siècle. Un romancier n’aurait peut-être pas osé les imaginer mais le Destin a transformé leur véritable existence en une palpitante intrigue : si cet ouvrage n’est pas une fiction, il peut se lire comme un roman.

vendredi 28 août 2009

La Seconde Guerre Mondiale vue de La Réunion


Deux Réunionnais dans la Seconde Guerre Mondiale


Il y a soixante-dix ans éclatait la Seconde Guerre Mondiale. Des millions de personnes ont été emportées dans la tourmente à cette occasion. Les Réunionnais, quoique éloignés des combats, ont eux-mêmes beaucoup souffert. Mais quelques-uns ont malgré tout connu les horreurs de la guerre et de la déportation en Europe.

« De La Réunion à l’Allemagne 1939-1945 : le périple d’une ambulancière et d’un résistant » relate les parcours exceptionnels de deux Réunionnais. Un homme et une femme, un combattant de l’ombre fait prisonnier et une ambulancière de l’armée de Libération.
Cet ouvrage présente le témoignage de Marguerite Jauzelon, engagée volontaire en 1943 pour participer à la Libération de l’Europe. Avec d’autres jeunes femmes réunionnaises et malgaches elle a rejoint l’armée d’Afrique du Nord et participé au débarquement en Provence, sur la plage de La Nartelle, où le Président de la République Française a rendu hommage aux combattants d’outre-mer et des colonies le 8 mai dernier. Marguerite Jauzelon et les ambulancières ont fait toute la campagne de libération, qui les a menées jusqu’en Allemagne au printemps 1945. Avec pudeur elle raconte son enfance réunionnaise, puis son engagement et son expérience des champs de bataille qui l’ont profondément marquée. Elle évoque les difficultés propres à son action d’ambulancière mais aussi les rencontres avec les populations en guerre et la découverte de l’Europe pour une jeune Réunionnaise.
L’autre héros trop discret, et malheureusement disparu, est Jean Joly. Il avait accepté de devenir le parrain de Légion d’Honneur de Marguerite Jauzelon. Son destin a donc toute sa place dans cet ouvrage. Jeune étudiant dionysien à Paris, il fut choqué par la défaite française puis par la collaboration qui se mit en place en 1940. Il s’engagea activement dans la Résistance, ce qui lui valut d’être déporté au camp de Mauthausen en 1943. Deux ans d’une atroce captivité qu’il aura toujours du mal à évoquer même s’il venait volontiers témoigner sur la guerre et faire partager son pacifisme dans les établissements scolaires réunionnais. Le lycée de la Rivière-Saint-Louis porte aujourd’hui son nom. Les Réunionnais peuvent en effet être fiers de ce grand compatriote encore trop méconnu.
Ces deux récits de vie sont complétés, en fin d’ouvrage, par de petits rappels sur la vie à La Réunion pendant le conflit, destinés en particulier aux plus jeunes. Ce sujet reste encore très peu documenté et mal connu. Une iconographie abondante, tirée notamment du journal pétainiste Chantecler, agrémente cette partie et donne à voir un pan oublié et refoulé d’histoire locale.
Un livre qui plaira autant à ceux qui connaissent La Réunion qu’à ceux qui s’intéressent à la Seconde Guerre Mondiale mais ont peu l’occasion de la découvrir du point de vue d’une colonie française.
Ouvrage paru en juin 2009, ISBN 97829531989-8-0, 15 euros, 120 pages
Disponible uniquement chez l'éditeur
Editions Surya – 14 rue Champ-Fleuri, 97 490 Sainte-Clotilde – La Réunion
02 62 41 22 76 – surya-editions@orange.fr

samedi 30 mai 2009

Les voyages au long-cours vers les Mascareignes

Europe-Mascareignes via les Amériques !

Au milieu du XIXème siècle, les voyages en bateau sont encore très longs, notamment entre l'Europe et l'archipel des Mascareignes. En effet, l'essentiel du trafic se fait encore à la voile, souvent à bord de majestueux trois mâts, et le Canal de Suez n'a pas encore été percé - il ouvrira en 1869 - ce qui oblige a faire un immense tour de l'Afrique. Il faut compter environ trois mois pour rallier Saint-Denis ou Port-Louis au départ des ports de l'Ouest français. On apporte aux habitants de l'Océan Indien des produits manufacturés, du savon, du papier, des alcools....
Or, malgré un si long voyage, de très nombreux navires de commerce français ne se rendent même pas en droite ligne vers les îles de l'Océan Indien ! En effet, il n'est pas rare de faire un large détour vers Saint-Pierre-et-Miquelon pour embarquer de la morue salée ou par Buenos-Aires pour faire le plein de mules. Toutes ces marchandises sont sont destinées aux Mascareignes. Et une fois que les navires ont fait relâche dans ces petites îles, ils repartent facilement vers l'Asie pour se livrer à d'autres trafics, comme le transport de travailleurs indiens ou de riz. Ils bouclent ainsi un quasi tour du monde avant de retourner en France avec une cargaison de sucre.
Le voyage peut donc durer plus d'un an, avec souvent une très longue escale à La Réunion ou à Maurice. Cet arrêt est l'occasion pour nombre de marins de s'égayer et il faut remplacer l'équipage. Même ceux qui ne désertent pas en profitent pour se reposer et se refaire une santé après de longues semaines de mer. Les Mascareignes offrent une nourriture et une eau d'excellente qualité.
Ce sont plutôt les passagers qui peuvent faire grise mine. Car ils ne sont pas rares les voyageurs à s'embarquer pour rejoindre qui sa famille, qui sa plantation ou son poste de fonctionnaire. Ils évitent autant que possible les navires qui font ainsi le tour du monde et préfèrent ceux qui se rendent en droite ligne vers leur destination. Mais parfois, ils n'ont guère le choix. Quoi qu'il en soit, d'une escale à l'autre, des passagers montent tandis que d'autres descendent et le navire marchand fait l'omnibus entre quatre continents.
Voici quelques exemples de voyages en zig-zag, pris au hasard parmi d'autres :
Au départ de Nantes :
Le Charles, construit à Nantes en 1854, quitte son port d'attache en 1858 pour un grand voyage "aux engagés". Il se rend directement à La Réunion avec diverses marchandises puis à Mayotte avec le reste de sa cargaison. Il se rend ensuite à Quiloa (Afrique) seulement chargé de lest mais en revient avec près de 300 Africains qu'il débarque à La Réunion. Il repart vers Pondichéry avec à bord des travailleurs qui rentrent chez eux. Il pousse jusqu'à Calcutta pour embarquer du riz et, repassant par Pondichéry, file vers Maurice pour débarquer une partie du riz, le reste étant vendu à La Réunion. Plus d'un an après son départ, le voilà qui rentre à Nantes.
Le Lafayette, construit au Havre en 1838 mais armé à Marseille et quittant finalement Nantes en 1858, se rend lui aussi directement à l'île Maurice puis à La Réunion, où il dépose ses marchandises d'Europe. De là, il se rend dans les îles du Détroit de la Sonde (Indonésie) avant de de s'éloigner jusqu'à Lombok, d'où il revient à La Réunion chargé de chevaux et de diverses marchandises. De nouveau, c'est le départ vers l'Asie, avec seulement du lest. Le navire s'arrête à Pondichéry puis dans divers petites ports de l'Inde du Sud pour embarquer des lentilles et autres pois, puis refait escale à Pondichéry pour embarquer cette fois des 300 Indiens et du riz qu'il destine à La Réunion. Enfin, il rentre à Nantes.
Au départ de Saint-Nazaire :
Le Jeune Albert, construit à Bordeaux en 1855, armé au Havre mais quittant la France au départ de Saint-Nazaire en 1860, commence par se rendre à l'Ile de Ré pour faire le plein de sel. Cette cargaison était destinée à Terre-Neuve où il embarque à la place de la morue. Quatre mois plus tard, ayant quitté le l'automne de l'Atlantique Nord, le voilà à La Réunion en plein été austral, où il fait une longue escale bien méritée de deux mois. Il reprend la mer avec quelques passagers pour Pondichéry, où il embarque 278 immigrants. Il s'arrête ensuite à Karikal pour embarquer encore près de 200 travailleurs et quelques marchandises qu'il mène à La Réunion. Après deux mois et demi de repos aux Mascareignes, ils repart vers Saint-Nazaire les cales pleines de sucre, plus d'un an après avoir quitté les rivages de la Loire.
La Junon quitte son port d'attache en 1858 avec du sel qu'il destine à Saint-Pierre-et-Miquelon. Là il troque ce sel contre l'inévitable morue et navigue jusqu'à Maurice. Il repart sans rien si ce n'est du lest, et aborde Pondichéry. Là il embarque un peu plus de 200 Indiens ainsi qu'une bonne quantité de riz. Mais au lieu de rejoindre les Mascareignes, il repart vers l'Amérique. Un long voyage le conduit jusqu'en Guadeloupe puis en Martinique, où il débarque les Indiens et le riz. Pour aussitôt repartir dans la même direction avec des travailleurs rapatriés mais aussi 73 passagers qui profitent d'un des rares navires à rallier directement Pondichéry depuis les Antilles !
Le Richelieu quitte Saint-Nazaire en 1861 en quête de sel, qu'il va trouver à Cadix. Ainsi chargé, il se rend sans surprise à Saint-Pierre-et-Miquelon, où il embarque de la morue et du charbon au cours d'une longue escale d'été. Cette cargaison parvient à La Réunion trois mois et demi plus tard. Chargé de lest mais aussi de travailleurs rapatriés, le navire prend la direction de Pondichéry puis de Karikal et en revient avec plus de 500 Indiens qu'il destine à La Réunion, avant de repartir à Pondichéry....
Au départ du Havre :
Le Saint-Pierre, un bien grand navire de 775 tonneaux, quitte le Havre en 1860 avec diverses marchandises et une vingtaine de passagers pour se rendre à Buenos-Aires, où il parvient deux mois plus tard jour pour jour. Il repart chargé seulement de lest pour une traversée de trois mois qui le conduit à Calcutta. Là, au cours d'une longue escale, il embarque diverses marchandises mais surtout près de 400 Indiens et du riz, qu'il destine à La Réunion. Après rien moins que sept mois d'escale dans cette île - il y a certainement un problème - il se rend dans l'Ile-Soeur, Maurice, avec du riz.
Le Suger, qui quitte le Havre l'année suivante, effectue une trajet plus classique. Il se rend directement de Normandie à Saint-Denis, en trois mois. Il repart vers Pondichéry avec des travailleurs rapatriés mais là il embarque de nombreux travailleurs, puis d'autres à Karikal lors d'une escale éclair, ainsi que du riz, et le voilà de retour à La Réunion.
Au départ de Bordeaux :
L'Ernestine armée à Bordeaux en 1860 se rend à Buenos-Aires avec quelques passagers et diverses marchandises, qu'elle atteint en tout juste deux mois. Là elle embarque des mules pour Maurice, où elle accoste après trois mois de mer. Puis elle va débarquer le reste des mules à La Réunion, ainsi que 56 passagers pris à Maurice. Sans surprise, avec seulement du lest le navire repart vers Pondichéry puis d'autres ports d'Inde du Sud. Mais le voyage paraît peu fructueux et le navire reparaît près de trois mois plus tard à La Réunion avec diverses marchandises indiennes. Il retourne en Europe plus d'un an après l'avoir quittée, chargé de sucre.

mercredi 27 mai 2009

Les Mac-Auliffe et les thermes réunionnais


Une famille dans les stations thermales de La Réunion



A l’heure où la vocation thermale de Cilaos, pourtant emblématique du cirque, semble menacée, revenons sur une famille qui a profondément marqué les Cilaosiens et dont l’arrivée dans ce village doit tout aux eaux thermales.


Jean-Marie Mac Auliffe est né à Rennes le 8 mars 1837 d’un père commerçant de Caen. C’est le descendant d’une famille irlandaise de Cork établie en France depuis le XVIIème siècle, à l’époque de l’exil du roi d’Ecosse et d’Angleterre Jacques.


Un marin dans l’Océan Indien


Après avoir obtenu son doctorat de Médecine à l’Université de Paris, Jean-Marie Mac Auliffe devient médecin de la Marine et s’embarque pour découvrir le vaste monde. Il débarque pour le première fois à La Réunion en 1860 et rencontre ainsi sa première épouse : Anna Victorine Trollé. Le père d’Anna est un médecin réputé dans l’île, qui a effectué les premières recherches scientifiques sur les vertus thérapeutiques des eaux thermales du cirque de Cilaos, au centre de l’île. C’est ainsi que Jean-Marie Mac Auliffe se rend lui-même à Cilaos en touriste en 1863. La région lui plaît beaucoup.
Cependant, pour les besoins de sa carrière, Jean-Marie Mac Auliffe reprend la mer. Jusqu’en 1870, Jean-Marie Mac Auliffe occupe le poste très prestigieux de médecin personnel du Sultan de Zanzibar et mène grand train au sein de la classe dominante. Pourtant, lorsqu’il apprend la déclaration de la Guerre franco-prussienne en 1870, il n’hésite pas à tout quitter pour se porter au secours de son pays. Mais il arrive en France après la défaite de Sedan et retourne dans l’Océan Indien.
Il voyage alors entre Mayotte, les Comores, Nossi-Bé (au nord de Madagascar) et les Seychelles. A Noël 1873, il quitte Mahé des Seychelles pour gagner Mayotte. A cause de l’incompréhension entre les matelots d’origines différentes, le navire à vapeur fait naufrage sur l’îlot Alphonse, dans le sud de l’archipel des Seychelles. A cette période, cette petite île est inhabitée. Jean-Marie Mac Auliffe et ses compagnons d’infortune sont contraints de jouer les Robinson pendant 27 jours avant d’être secourus par un aviso de la Marine française commandé par l’officier breton Penfentenyo. Jean-Marie Mac Auliffe avoue que c’est l’amour de sa famille et l’espoir de la revoir qui l’ont empêché de sombrer dans le découragement durant ce mois passé à l’écart du monde. Car il s’était préparé au pire, ainsi qu’il l’écrit plus tard à son épouse : « En prévision d’un long séjour sur l’île, j’avais voulu qu’on se mît tout d’abord à la dernière ration, mais je fus accusé de pessimisme.(…) Je défrichai environ cent mètres carrés de terrain et, après avoir bien remué le sol, j’y semai les graines que j’avais apportées : radis, haricots, pistaches, embrevades, voèmes. L’on riait de moi, mais je laissais faire et continuais ma besogne. »
Régulièrement durant cette période de voyage dans les îles, le médecin va se refaire une santé aux thermes de Cilaos à La Réunion.


Le médecin des cirques réunionnais


En 1877, Jean-Marie Mac Auliffe se fixe définitivement à La Réunion avec sa petite famille. Après avoir souffert du climat sur les littoraux des petites îles de l’Océan Indien, le médecin devient chef du service de santé de l’hôpital militaire de Hell-Bourg, au cœur du cirque de Salazie. Il y retrouve son beau-père, le docteur Trollé. Jean-Marie Mac Auliffe est très apprécié dans le village, ainsi qu’en témoigne un voyageur mauricien de passage dans le cirque en 1877 : « (le Docteur Mac Auliffe) est la providence des pauvres de Hell-Bourg et l’ami dévoué de tous les voyageurs qui ont besoin de l’assistance précieuse de son diagnostique sûr et intelligent. » Cependant, quelques jours plus tard, le même voyageur a la douleur d’assister à la mort en couches de Madame Mac Auliffe, le 15 octobre : « C’est vraiment navrant que le spectacle de la mort en certaines circonstances. Deux docteurs, deux médecins réputés pour leur science, l’un le père, l’autre le mari, ne réussissent pas à arracher au trépas la digne créature qui est l’objet de leur mutuelle adoration. »
Malade et affaibli par la vie mouvementée qu’il a mené dans les petites îles, le médecin cesse d’exercer en 1879 et demande sa mise à la retraite en 1881. Il se remarie avec Marie Georgina Bertho et quitte le cirque de Salazie pour celui de Cilaos en 1899. En 1900 il devient médecin résident de l’établissement thermal. Là encore, tous les habitants du cirque apprennent rapidement à l’apprécier et sa réputation de sagesse et de bonté s’accroît encore. Jean-Marie Mac Auliffe s’investit tout entier pour le cirque de Cilaos car en plus de pratiquer la médecine, il tente de développer la vie économique de ce cirque encore très isolé au début du XXème siècle. Il tente l’introduction du mûrier et de ver à soie pour établir une magnanerie, sans grand succès malheureusement. En 1902, il fait paraître Cilaos pittoresque et thermal, guide médical des eaux thermales, pour assurer la promotion du cirque auprès de tous les militaires et colons des îles voisines, qui vont ordinairement se faire soigner à grands frais dans les stations thermales d’Europe. Cet ouvrage rencontre un grand succès. C’est également le première étude minutieuse sur tous les aspects de Cialos (histoire, géographie, démographie, météorologie etc…) C’est ainsi que se crée, au fil des ans, la légende du « bon docteur Mac Auliffe », le bienfaiteur de Cilaos, encore très vive en ce début de XXIème siècle pour le centenaire de sa mort.
Jean-Marie Mac Auliffe meurt en effet le 21 septembre 1908 et il est enterré à Cilaos. Sur sa tombe on peut lire « Cilaos for ever », selon ses propres mots, tirés de son ouvrage : « Il paraît qu’il était dans ma destinée de revenir dans ces lieux qui m’avaient tant charmé ; peut-être y finirai-je mes jours : Cilaos for ever. »


La postérité des Mac Auliffe à La Réunion, une famille très respectée


De son premier mariage, Jean-Marie Mac Auliffe a eu cinq enfants. Plusieurs d’entre eux ont durablement marqué l’île de La Réunion.
Sa première fille, Jeanne, née en 1864, épouse un pharmacien qui participe à la campagne militaire pour la colonisation de Madagascar, où s’installeront nombre de Réunionnais.
Sa seconde fille, Claire, donne naissance à un célèbre maire de Saint-Denis de l’Entre-Deux-Guerres : Jean Chatel.
Sa troisième fille, Anna, deviendra la belle-mère du maire de Sainte-Marie (Vincent Boyer de la Giroday), lequel est aussi le fondateur du Crédit Agricole à La Réunion, actuellement la plus importante banque de l’île.
Ensuite vient Victor, né en 1870 à Zanzibar, dont la célébrité vient bien souvent éclipser le destin du papa ! Médecin militaire comme son père, il exerce à Madagascar pendant la guerre de colonisation puis s’installe à son compte à Saint-Denis, où il acquiert la réputation de médecin des pauvres. Enseignant la chirurgie à l’hôpital colonial, il s’y fait également fort apprécier de ses malades comme de ses confrères. A son retour de la Grande Guerre en Europe, il lutte courageusement contre l’épidémie de grippe espagnole qui ravage l’île en 1919. Décoré deux fois par l’armée, il obtient l’érection d’un buste à son effigie dans la cour de l’hôpital militaire de St Denis trois ans après sa mort, pour services rendus à la population. Une des principales artères de la ville porte également son nom.
La petite dernière, Angélique dite Angèle, née en 1877 à Hell-Bourg, perd sa mère à la naissance. D’une santé fragile, elle ne se marie pas et reste toujours auprès de son père, jusqu’à sa mort en 1909. Comme Jean-Marie Mac Auliffe, son souvenir reste très présent à Cilaos où elle a joué un rôle primordial en secondant son père dans ses tentatives de développement économique du cirque. C’est elle en effet qui enseigne aux orphelines des religieuses l’art de la broderie, donnant ainsi naissance aux fameux jours de Cilaos, qui font aujourd’hui la réputation du cirque dans le monde entier et la fierté de ses habitants. La technique des jours, d’abord adaptée des jours anciens classiques, a peu à peu évolué grâce à la fantaisie et la dextérité des brodeuses de Cilaos jusqu’à donner naissance à une broderie originale.

dimanche 24 mai 2009

Entrepôts maritimes et magasins de gros : un aspect oublié de Saint-Denis-de-La-Réunion

On devine les vestiges du balcon à l'étage mais la massivité des ouvertures au RdC comme à l'étage rappelle qu'il ne s'agit pas d'une boutique. De plus, on constate qu'une porte menant sans doute à une cour a été bouchée. Ses dimensions devaient permettent le passage d'une voiture à cheval, ce qui n'existe pas dans les simples boutiques.


Le patrimoine économique et maritime méconnu de Saint-Denis


Pendant des décennies, essentiellement aux XVIIIème et XIXème siècles, Saint-Denis fut un grand port de commerce, la porte d’entrée de bien des denrées et le point de départ des productions coloniales. Cependant, avec la création du chemin de fer puis l’aménagement de du port de la Pointe des Galets à la fin du XIXème siècle, le port de Saint-Denis et les dernières marines ont aujourd’hui disparu, jusque dans le souvenir des Dyonisiens. Pourtant, sur le territoire de Saint-Denis, on peut encore voir les traces de cette intense activité commerciale par bateau grâce aux entrepôts qui subsistent au cœur de la ville.



Nous ne reviendrons pas ici sur le port de Saint-Denis lui-même, il nous suffit de rappeler que ce port se situait à peu près à l’emplacement de l’actuel boulevard Gabriel Macé et de la promenade du Barachois. La mer s’enfonçait donc plus avant dans la ville jusqu’au début du XXème siècle. Nous n’insistons pas non plus sur l’ancien magasin de café – actuel Hôtel de la Préfecture – ni sur les divers bâtiments des douanes – de la Brasserie Roland Garros à RFO – qui sont aujourd’hui totalement méconnaissables.

Ceci dit, voilà pourquoi l’on retrouve l’essentiel des entrepôts de commerce destinés aux échanges maritimes dans un espace bien précis et très proche de l’ancien port. Ces bâtiments utilitaires se concentrent principalement dans un périmètre délimité par les rues Rontaunay, Jules Auber, Pasteur et Lucien Gasparin. Leur position actuelle, relativement éloignée du front de mer, constitue un élément de témoignage sur l’ancienne proximité du port aujourd’hui totalement disparu. La toponymie éclaire elle aussi remarquablement l’étude du patrimoine puisque, derrière les rues du Mat du pavillon et du Four à chaux, qui témoignent de la présence des quais de l’ancien port, on trouve par exemple la rue Rontaunay, du nom d’un des plus riches négociants de mer du XIXème siècle, et un peu plus loin la rue de la Compagnie, du nom de la toute-puissante Compagnie des Indes aux XVII-XVIIIèmes siècles.

A travers l’étude de l’architecture des entrepôts, on peut retrouver le mouvement de glissement spatial de la ville de Saint-Denis. En effet, les entrepôts de l’époque de la Compagnie des Indes (XVIIIème siècle), en maçonnerie et pierres de taille, sont tous situés en haut et sur la partie Sud de l’Avenue de la Victoire, juste derrière la Préfecture, essentiellement autour de l’angle formé par les artères de la Victoire et Rontaunay. Les bâtiments « type Compagnie des Indes », réalisés à la fin du XVIIIème siècle ou au début du XIXème siècle, sont déjà légèrement décalés par rapport à la ville et au port primitifs. La ville s’étend, le commerce maritime à Saint-Denis se développe et cela se retrouve dans l’emplacement des entrepôts. Les boutiques se développent également, légèrement en retrait du quartier des entrepôts, plus proches des habitations.

Plus tard dans le XIXème siècle, les entrepôts glissent toujours davantage vers le Nord-Est et finissent par dépasser le vieux quartier des marchands, situé derrière la Cathédrale autour de la ruelle Mazeau, aujourd’hui très dégradée. De ce fait, les entrepôts se métamorphosent en boutiques et leur aspect extérieur très sévère du temps de la Compagnie des Indes se sophistique, notamment avec l’ajout d’une varangue à l’étage, sur le modèle des petites boutiques urbaines (magasin au rez-de-chaussée et domicile du commerçant à l’étage, protégé par une varangue qui court tout le long de la façade). Cependant, on y trouve toujours les larges et épaisses portes de bois à deux battants, au rez-de-chaussée et souvent aussi à l’étage. Ces larges et hautes ouvertures, pourvues de portes en bois très épaisses, se distinguent des simples petites commerces de détail du type « boutique chinois » dont les ouvertures sont beaucoup plus basses et surtout plus étroites, fermées par des volets en bois à deux battants plus légers.
La grande emprise territoriale des entrepôts au milieu du XIXème siècle, et leur multiplication, témoignent du formidable essor économique de l’île au début du Second Empire, dont le port de Saint-Denis fut un acteur privilégié. En effet, le sucre de canne qui fait la fortune de La Réunion à cette époque est exporté à partir du Barachois tandis que des produits importés sont débarqués chaque jour. Les entrepôts servent de lieu de stockage aussi bien aux productions exportées qu’aux importations avant un dispersement dans les boutiques de détail.

mercredi 25 mars 2009

Les Jardins d'acclimatation

Le Jardin de Pamplemousses et le Jardin du Roy





Aux îles Mascareignes, le climat exceptionnel pousse très tôt les hommes à chercher à cultiver de nouvelles plantes. Sous l'administration de la Compagnie des Indes, l'introduction et l'acclimatation de nouvelles plantes doit répondre à un souci économique : la Compagnie cherche à rentabiliser ses îles en leur imposant des cultures spéculatives comme le café. Ensuite, lorsque les îles passent sous administration royale, les recherches botaniques se perpétuent, aussi bien pour découvrir de nouvelles plantes destinées à l'agriculture vivrière que pour acclimater des plantes cultivées pour l'exportation.

C'est dans ce contexte que sont créés, à peu près en même temps, les deux grands jardins d'acclimatation des Mascareignes : le Jardin du Roy à Saint-Denis de La Réunion -aujourd'hui Jardin de l'Etat - et le fameux Jardin de Pamplemousses à l'île Maurice.

Le Jardin du Roy a été créé entre 1767 et 1773, c'est-à-dire assez tardivement, lorsque Pierre Poivre était Intendant des Mascareignes. Ce jardin était destiné à acclimater aussi bien des plantes vivrières -comme la pomme de terre et de très nombreux fruits - puisque l'île Bourbon devait ravitailler les navires en route pour l'Inde, que des plantes cultivées pour l'exportation, au premier rang desquelles les épices. Le jardin est donc au départ comme une sorte de banque des plantes, où l'on prend soin des pousses et graines apportées par bateau, le plus souvent d'Asie, où l'on multiplie les plants afin de les distribuer aux habitants. C'est par ce jardin que sont arrivées des plantes aujourd'hui très communes dans l'île comme le litchi, l'arbre à pain, l'avocatier ou le manguier.

Le Jardin de Pamplemousses est créé exactement au même moment car lui aussi doit beaucoup au lyonnais Pierre Poivre. Plus vaste que son voisin réunionnais, le jardin mauricien est par excellence le jardin d'acclimatation des épices. En effet, depuis le milieu du XVIIIème siècle, Pierre Poivre cherche à briser le monopole absolu des Hollandais sur des épices telles que la noix de muscade ou le clou de girofle, qui ne poussent que dans de petites îles indonésiennes. Ces plantes, qui rapportent tant d'argent à la Compagnie des Indes hollandaise, sont jalousement gardées. Cependant, en 1750, il parvient à voler quelques plants en Inde et à Timor et rapporte son précieux butin à l'Ile de France. Mais le conservateur du jardin botanique royal de Port-Louis, jaloux du succès de Pierre Poivre, laisse volontairement mourir les précieux plants et les épices ne sont pas introduites durablement dans l'île. Il faut donc attendre que Pierre Poivre devienne Intendant des Mascareignes - donc gouverneur - pour qu'il crée un jardin privé à Pamplemousses, non loin de Port-Louis, afin de reprendre ses tentatives d'acclimatation. En 1770 il reçoit enfin quelques centaines de pieds de muscadiers et girofliers, ainsi que des milliers de noix et de graines, qu'il s'empresse de faire prospérer dans son jardin botanique. Et l'acclimatation de ces épices est excellente, si bien que la première vraie récolte de clous de girofle a lieu en 1777 - un peu plus tard pour les noix de muscade -, le monopole hollandais est définitivement brisé et Pierre Poivre est anobli. Cet amoureux des plantes introduit aussi la canelle ou le poivre, par exemple. C'est également lui qui créé le Jardin du Roy, à Mahé des Seychelles, dans le même but et avec le même succès qu'aux Mascareignes. A son départ de l'Ile-de-France, en 1773, il vend le Jardin de Pamplemousses au Roi. Le jardin continue de fonctionner selon le même principe : acclimatation et multiplication de plantes exotiques, afin de les distribuer aux habitants.

Aujourd'hui, les deux jardins constituent encore les plus vastes et les plus beaux jardins publics de leurs îles respectives, véritables conservatoires botaniques. Mais tous deux deux sont sont en mauvais état, de nombreux arbres centenaires ou pluri-centenaires sont menacés. A présent c'est l'île de Zanzibar qui cultive la majorité des clous de girolfle que nous consommons. C'est une des conséquences de la détermination de Pierre Poivre à casser le monopole des îles indonésiennes.