Europe-Mascareignes via les Amériques !
Au milieu du XIXème siècle, les voyages en bateau sont encore très longs, notamment entre l'Europe et l'archipel des Mascareignes. En effet, l'essentiel du trafic se fait encore à la voile, souvent à bord de majestueux trois mâts, et le Canal de Suez n'a pas encore été percé - il ouvrira en 1869 - ce qui oblige a faire un immense tour de l'Afrique. Il faut compter environ trois mois pour rallier Saint-Denis ou Port-Louis au départ des ports de l'Ouest français. On apporte aux habitants de l'Océan Indien des produits manufacturés, du savon, du papier, des alcools....
Or, malgré un si long voyage, de très nombreux navires de commerce français ne se rendent même pas en droite ligne vers les îles de l'Océan Indien ! En effet, il n'est pas rare de faire un large détour vers Saint-Pierre-et-Miquelon pour embarquer de la morue salée ou par Buenos-Aires pour faire le plein de mules. Toutes ces marchandises sont sont destinées aux Mascareignes. Et une fois que les navires ont fait relâche dans ces petites îles, ils repartent facilement vers l'Asie pour se livrer à d'autres trafics, comme le transport de travailleurs indiens ou de riz. Ils bouclent ainsi un quasi tour du monde avant de retourner en France avec une cargaison de sucre.
Le voyage peut donc durer plus d'un an, avec souvent une très longue escale à La Réunion ou à Maurice. Cet arrêt est l'occasion pour nombre de marins de s'égayer et il faut remplacer l'équipage. Même ceux qui ne désertent pas en profitent pour se reposer et se refaire une santé après de longues semaines de mer. Les Mascareignes offrent une nourriture et une eau d'excellente qualité.
Ce sont plutôt les passagers qui peuvent faire grise mine. Car ils ne sont pas rares les voyageurs à s'embarquer pour rejoindre qui sa famille, qui sa plantation ou son poste de fonctionnaire. Ils évitent autant que possible les navires qui font ainsi le tour du monde et préfèrent ceux qui se rendent en droite ligne vers leur destination. Mais parfois, ils n'ont guère le choix. Quoi qu'il en soit, d'une escale à l'autre, des passagers montent tandis que d'autres descendent et le navire marchand fait l'omnibus entre quatre continents.
Voici quelques exemples de voyages en zig-zag, pris au hasard parmi d'autres :
Au départ de Nantes :
Le Charles, construit à Nantes en 1854, quitte son port d'attache en 1858 pour un grand voyage "aux engagés". Il se rend directement à La Réunion avec diverses marchandises puis à Mayotte avec le reste de sa cargaison. Il se rend ensuite à Quiloa (Afrique) seulement chargé de lest mais en revient avec près de 300 Africains qu'il débarque à La Réunion. Il repart vers Pondichéry avec à bord des travailleurs qui rentrent chez eux. Il pousse jusqu'à Calcutta pour embarquer du riz et, repassant par Pondichéry, file vers Maurice pour débarquer une partie du riz, le reste étant vendu à La Réunion. Plus d'un an après son départ, le voilà qui rentre à Nantes.
Le Lafayette, construit au Havre en 1838 mais armé à Marseille et quittant finalement Nantes en 1858, se rend lui aussi directement à l'île Maurice puis à La Réunion, où il dépose ses marchandises d'Europe. De là, il se rend dans les îles du Détroit de la Sonde (Indonésie) avant de de s'éloigner jusqu'à Lombok, d'où il revient à La Réunion chargé de chevaux et de diverses marchandises. De nouveau, c'est le départ vers l'Asie, avec seulement du lest. Le navire s'arrête à Pondichéry puis dans divers petites ports de l'Inde du Sud pour embarquer des lentilles et autres pois, puis refait escale à Pondichéry pour embarquer cette fois des 300 Indiens et du riz qu'il destine à La Réunion. Enfin, il rentre à Nantes.
Au départ de Saint-Nazaire :
Le Jeune Albert, construit à Bordeaux en 1855, armé au Havre mais quittant la France au départ de Saint-Nazaire en 1860, commence par se rendre à l'Ile de Ré pour faire le plein de sel. Cette cargaison était destinée à Terre-Neuve où il embarque à la place de la morue. Quatre mois plus tard, ayant quitté le l'automne de l'Atlantique Nord, le voilà à La Réunion en plein été austral, où il fait une longue escale bien méritée de deux mois. Il reprend la mer avec quelques passagers pour Pondichéry, où il embarque 278 immigrants. Il s'arrête ensuite à Karikal pour embarquer encore près de 200 travailleurs et quelques marchandises qu'il mène à La Réunion. Après deux mois et demi de repos aux Mascareignes, ils repart vers Saint-Nazaire les cales pleines de sucre, plus d'un an après avoir quitté les rivages de la Loire.
La Junon quitte son port d'attache en 1858 avec du sel qu'il destine à Saint-Pierre-et-Miquelon. Là il troque ce sel contre l'inévitable morue et navigue jusqu'à Maurice. Il repart sans rien si ce n'est du lest, et aborde Pondichéry. Là il embarque un peu plus de 200 Indiens ainsi qu'une bonne quantité de riz. Mais au lieu de rejoindre les Mascareignes, il repart vers l'Amérique. Un long voyage le conduit jusqu'en Guadeloupe puis en Martinique, où il débarque les Indiens et le riz. Pour aussitôt repartir dans la même direction avec des travailleurs rapatriés mais aussi 73 passagers qui profitent d'un des rares navires à rallier directement Pondichéry depuis les Antilles !
Le Richelieu quitte Saint-Nazaire en 1861 en quête de sel, qu'il va trouver à Cadix. Ainsi chargé, il se rend sans surprise à Saint-Pierre-et-Miquelon, où il embarque de la morue et du charbon au cours d'une longue escale d'été. Cette cargaison parvient à La Réunion trois mois et demi plus tard. Chargé de lest mais aussi de travailleurs rapatriés, le navire prend la direction de Pondichéry puis de Karikal et en revient avec plus de 500 Indiens qu'il destine à La Réunion, avant de repartir à Pondichéry....
Au départ du Havre :
Le Saint-Pierre, un bien grand navire de 775 tonneaux, quitte le Havre en 1860 avec diverses marchandises et une vingtaine de passagers pour se rendre à Buenos-Aires, où il parvient deux mois plus tard jour pour jour. Il repart chargé seulement de lest pour une traversée de trois mois qui le conduit à Calcutta. Là, au cours d'une longue escale, il embarque diverses marchandises mais surtout près de 400 Indiens et du riz, qu'il destine à La Réunion. Après rien moins que sept mois d'escale dans cette île - il y a certainement un problème - il se rend dans l'Ile-Soeur, Maurice, avec du riz.
Le Suger, qui quitte le Havre l'année suivante, effectue une trajet plus classique. Il se rend directement de Normandie à Saint-Denis, en trois mois. Il repart vers Pondichéry avec des travailleurs rapatriés mais là il embarque de nombreux travailleurs, puis d'autres à Karikal lors d'une escale éclair, ainsi que du riz, et le voilà de retour à La Réunion.
Au départ de Bordeaux :
L'Ernestine armée à Bordeaux en 1860 se rend à Buenos-Aires avec quelques passagers et diverses marchandises, qu'elle atteint en tout juste deux mois. Là elle embarque des mules pour Maurice, où elle accoste après trois mois de mer. Puis elle va débarquer le reste des mules à La Réunion, ainsi que 56 passagers pris à Maurice. Sans surprise, avec seulement du lest le navire repart vers Pondichéry puis d'autres ports d'Inde du Sud. Mais le voyage paraît peu fructueux et le navire reparaît près de trois mois plus tard à La Réunion avec diverses marchandises indiennes. Il retourne en Europe plus d'un an après l'avoir quittée, chargé de sucre.
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La Réunion a-t-elle su tirer profit de sa situation qui la mettait sur les grandes routes maritimes pour se développer économiquement (commerce, tourisme, douane, chantier naval, etc...) ?
RépondreSupprimerEn fait, c'est plutôt l'île Maurice, la voisine, qui était sur les grandes routes maritimes et qui en a tiré plus de profit. C'est encore le cas aujourd'hui.
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