dimanche 24 mai 2009

Entrepôts maritimes et magasins de gros : un aspect oublié de Saint-Denis-de-La-Réunion

On devine les vestiges du balcon à l'étage mais la massivité des ouvertures au RdC comme à l'étage rappelle qu'il ne s'agit pas d'une boutique. De plus, on constate qu'une porte menant sans doute à une cour a été bouchée. Ses dimensions devaient permettent le passage d'une voiture à cheval, ce qui n'existe pas dans les simples boutiques.


Le patrimoine économique et maritime méconnu de Saint-Denis


Pendant des décennies, essentiellement aux XVIIIème et XIXème siècles, Saint-Denis fut un grand port de commerce, la porte d’entrée de bien des denrées et le point de départ des productions coloniales. Cependant, avec la création du chemin de fer puis l’aménagement de du port de la Pointe des Galets à la fin du XIXème siècle, le port de Saint-Denis et les dernières marines ont aujourd’hui disparu, jusque dans le souvenir des Dyonisiens. Pourtant, sur le territoire de Saint-Denis, on peut encore voir les traces de cette intense activité commerciale par bateau grâce aux entrepôts qui subsistent au cœur de la ville.



Nous ne reviendrons pas ici sur le port de Saint-Denis lui-même, il nous suffit de rappeler que ce port se situait à peu près à l’emplacement de l’actuel boulevard Gabriel Macé et de la promenade du Barachois. La mer s’enfonçait donc plus avant dans la ville jusqu’au début du XXème siècle. Nous n’insistons pas non plus sur l’ancien magasin de café – actuel Hôtel de la Préfecture – ni sur les divers bâtiments des douanes – de la Brasserie Roland Garros à RFO – qui sont aujourd’hui totalement méconnaissables.

Ceci dit, voilà pourquoi l’on retrouve l’essentiel des entrepôts de commerce destinés aux échanges maritimes dans un espace bien précis et très proche de l’ancien port. Ces bâtiments utilitaires se concentrent principalement dans un périmètre délimité par les rues Rontaunay, Jules Auber, Pasteur et Lucien Gasparin. Leur position actuelle, relativement éloignée du front de mer, constitue un élément de témoignage sur l’ancienne proximité du port aujourd’hui totalement disparu. La toponymie éclaire elle aussi remarquablement l’étude du patrimoine puisque, derrière les rues du Mat du pavillon et du Four à chaux, qui témoignent de la présence des quais de l’ancien port, on trouve par exemple la rue Rontaunay, du nom d’un des plus riches négociants de mer du XIXème siècle, et un peu plus loin la rue de la Compagnie, du nom de la toute-puissante Compagnie des Indes aux XVII-XVIIIèmes siècles.

A travers l’étude de l’architecture des entrepôts, on peut retrouver le mouvement de glissement spatial de la ville de Saint-Denis. En effet, les entrepôts de l’époque de la Compagnie des Indes (XVIIIème siècle), en maçonnerie et pierres de taille, sont tous situés en haut et sur la partie Sud de l’Avenue de la Victoire, juste derrière la Préfecture, essentiellement autour de l’angle formé par les artères de la Victoire et Rontaunay. Les bâtiments « type Compagnie des Indes », réalisés à la fin du XVIIIème siècle ou au début du XIXème siècle, sont déjà légèrement décalés par rapport à la ville et au port primitifs. La ville s’étend, le commerce maritime à Saint-Denis se développe et cela se retrouve dans l’emplacement des entrepôts. Les boutiques se développent également, légèrement en retrait du quartier des entrepôts, plus proches des habitations.

Plus tard dans le XIXème siècle, les entrepôts glissent toujours davantage vers le Nord-Est et finissent par dépasser le vieux quartier des marchands, situé derrière la Cathédrale autour de la ruelle Mazeau, aujourd’hui très dégradée. De ce fait, les entrepôts se métamorphosent en boutiques et leur aspect extérieur très sévère du temps de la Compagnie des Indes se sophistique, notamment avec l’ajout d’une varangue à l’étage, sur le modèle des petites boutiques urbaines (magasin au rez-de-chaussée et domicile du commerçant à l’étage, protégé par une varangue qui court tout le long de la façade). Cependant, on y trouve toujours les larges et épaisses portes de bois à deux battants, au rez-de-chaussée et souvent aussi à l’étage. Ces larges et hautes ouvertures, pourvues de portes en bois très épaisses, se distinguent des simples petites commerces de détail du type « boutique chinois » dont les ouvertures sont beaucoup plus basses et surtout plus étroites, fermées par des volets en bois à deux battants plus légers.
La grande emprise territoriale des entrepôts au milieu du XIXème siècle, et leur multiplication, témoignent du formidable essor économique de l’île au début du Second Empire, dont le port de Saint-Denis fut un acteur privilégié. En effet, le sucre de canne qui fait la fortune de La Réunion à cette époque est exporté à partir du Barachois tandis que des produits importés sont débarqués chaque jour. Les entrepôts servent de lieu de stockage aussi bien aux productions exportées qu’aux importations avant un dispersement dans les boutiques de détail.

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